L’ORGANIQUE et le CRISTALLIN

Comme le plupart de ses pairs, Claude Santa débuta en sculpture par la représentation du corps humain. La sculpture semble prendre ses sources dans un narcissisme du corps, reconnaissance de sa propre nature pour mieux en maîtriser les énergies à mettre en œuvre dans l’affrontement de la matière, pour en extraire les secrets.
Il y a aussi l’animus, le Yang, le masculin dominateur. La femme est l’objet du désir et avant d’en élargir l’univers le sculpteur en parcourt amoureusement le sensuel paysage. Toute matière travaillée par l’homme est féminine. 
Le sculpteur exorcise sa hantise du féminin dans la pratique bachelardienne des « rêveries de la volonté ». Claude Santa participe de cet esprit, jusqu’à condenser le féminin en son symbole sexuel, avènement au principe, totémisation de l’anima.

Un très beau laiton froissé

A ce moment se manifeste Dionysos : n’ignorant rien des diverses recherches de la sculpture contemporaine de Pevsner à Moore et Giacometti, de César à Tinguely… Claude Santa multiplie les expériences, à la recherche de matériaux les plus variés de notre société industrielle, taillant, froissant, tordant, en un jeu frénétique entre le plein et le vide, au péril de la forme. Traversée d’un chaos pour renaître ensuite en une énergie renouvelée dans une certitude plus affermie. C’est alors qu’il choisit « son » matériau solaire, qu’il travaillera jusqu’à la fin de sa vie trop brève : le laiton poli. Apollon reprend ses droits.
A cette nouvelle phase, la matière faisant impérativement signe à la forme, Claude Santa par l’obligation consentie de simplifier, de condenser, cristallise l’organique qui avait dominé jusqu’à présent, en un objet limité à une forme génératrice, module de toutes ses futures sculptures : volume en double paraboloïde articulé par une zone discale fibreuse. Réduction du registre à une forme plus essentielle, induisant une plus forte densité sémiotique.
Cette cristallisation ne se départit jamais d’une organisité qui ne se perçoit plus au premier degré mais qui est amenée à son principe vivant d’articulation et de diastole-systole. Il y a encore de la fibre musculaire et de la torsion osseuse dans les volumes de cette dernière recherche. Volumes comme captés dans l’instantané d’un geste souple, en courbe et contre-courbe, gravité rétablie d’un corps en marche. Forme cristallisée et pourtant appel au corps que nous sommes évoluant autour d’elle. On imagine un danseur se coulant sur les plans de révolution d’un ensemble de ces sculptures comme régulateur d’un espace chorégraphique.
Claude Santa était trop pudique et trop sobre dans ses propos pour confier volontiers ses désirs et ses intentions. Mais l’œuvre, elle, ne cache rien, et s’il gardait le silence, c’est qu’il savait sans doute que seule son œuvre était habilitée à répondre à notre questionnement. Il savait que sa fonction de sculpteur était essentiellement de fabriquer un objet producteur de sens à la mesure de sa cohérence en tant que chose.
Il savait qu’il n’était pas maître du sens de son œuvre. C’est au regardant qu’il laissait le droit à cette appropriation.
Ainsi, il ne s’est jamais expliqué sur le choix de son matériau et de la forme qui lui est consubstantielle. Pourtant avec quelle permanente autorité ce choix du miroir plan de révolution s’est maintenu comme champ phénoménal privilégié de son œuvre. La sculpture cesse d’être opaque en reflétant son environnement, en le fluidifiant dans le lisse. Elle devient disponible à l’aléa du miroitement qui métamorphose toute chose et nous-mêmes en elle.

Quand nous nous déplaçons autour de ses sculptures leurs plans s’animent et deviennent ciels sereins, ciels d’orages, vagues marines, rivages ou forêts… en des scansions d’étendues fantasmatiques. Elles sont pièges à lumière. Elles ne représentent pas notre univers mais le captent en son sein.

Par un travail spécifique de la matière-forme, Claude Santa a conféré au cristallin sa vocation de miroir cosmique.
James GUITET, Vaurargues – Août 1981.
Texte extrait du catalogue de l’exposition (octobre-décembre 1981) à la Galerie de l’Ancienne Poste, Calais